dimanche 9 octobre 2011

Lueur d'espoir - Episode 14



- Si on parle bien du même Colonel… oui.

L'homme porte une main à son oreille.

- Karl ! Amène-moi les affaires de la fille.

Quelques secondes plus tard, un gorille armé jusqu'aux dents entre dans la pièce, avec tout ce que j'avais sur moi. Le vieil homme fouille dans mon sac et en ressort une ceinture en cuir finement ouvragé mais dont le cuir a subi les effets du temps. Il l’examine attentivement avant de poser un regard insistant sur moi.

- C'est juste un objet de famille.
- Je sais, ton père me l'a dit, réplique-t-il sèchement.
- Donc vous lui avez parlé.
- Oui.

Le vieil homme semble absorbé dans ses pensées et son regard se perd derrière moi. L’espoir gronde en moi comme un lointain tonnerre et je dois faire un effort pour contrôler le tremblement de mes mains. Après tout ce temps…

- Et donc ?
- Aux dernières nouvelles ils allaient tous bien, répond mon interlocuteur toujours distrait par d’obscures pensées.
- Il y a longtemps qu’ils sont passés ?
- Une semaine environ. Ils sont partis d'ici il y a huit jours. Mais je suis surpris que ce soit toi Xalyah, ajoute-t-il brusquement en fixant son regard perçant sur moi.
- Pourquoi ?

Mon ton est revêche, je ne vois pas où il veut en venir.

- Hé bien, je ne m’attendais pas à ce que tu sois si jeune.
- Ça c’est vous qui le dites, dis-je sèchement.
- Les apparences ne me trompent pas jeune fille. Quoiqu’il en soit, sache que ta route sera longue et parsemée d’embûches…
- Comme c’est original.
- Un peu de respect ! Tes sarcasmes ne te protègeront pas sur la voie que tu t’apprêtes à prendre !

Sa voix tonitruante finit par me clouer le bec. Khenzo s’agite un peu à mes côtés mais nous gardons le silence.

- Tu auras des responsabilités, et il te faudra les assumer. Jusqu’au bout. Et quoiqu’il t’en coûte. Ce sera ta seule issue. Garde bien en mémoire que le symbole porte l’espoir, et que l’espoir est le début de la victoire. C’est ce qu’il te faut et ce qu’il nous faut à tous pour relever la tête et croire enfin en l’avenir.

J’ai une furieuse envie de lui rire au nez, mais quelque chose au fond de moi m’en empêche. Peut-être parce qu’il a évoqué le respect, et que se moquer d’un vieillard fou n’est pas très digne des valeurs qu’on m’a enseigné.

- Tu n’es pas forcée de me croire. Tôt ou tard tu parviendras à cette conclusion.
- Je ne crois pas au destin.
- C’est un tort. Mais c’est un autre débat que nous n’aurons pas aujourd’hui. Porter ce fardeau sera lourd, mais je pense que tu as le potentiel pour le porter à bout de bras.

Bien, j’en assez entendu d’ineptie comme ça pour aujourd’hui. Je me lève et sors quelques billets de mon portefeuille.

- Je ne veux pas de ton argent. Garde-le. Karl, raccompagne ces jeunes gens vers la sortie. L’entretien  est terminé.

Le vieillard prend appuie sur ses deux mains pour se relever, puis sans un regard pour nous, sors de la pièce. Le gorille nous escorte jusqu’à la porte d’entrée et nous rend nos armes en bafouillant quelques mots d’excuse sur l’attitude de son maitre.

Nous traversons le jardinet en ruine en silence, occupé à remettre en place nos armes. L'air vif et froid me fait frissonner. Je remonte le col de mon manteau et fourre mes mains dans les poches. Khenzo, lui, s'emmitoufle dans son écharpe. Quelques corbeaux tournoient dans le ciel alors que ce dernier se couvre de plus en plus.

- Qu’a-t-il voulu dire ? me demande Khenzo. 
- Précise un peu ta pensée.
- Il disait que tu étais plus jeune qu’il ne le pensait, et que tu aurais un lourd fardeau à porter.
- Et bien je n’ai que dix-neuf ans. Quant au fardeau…
- Tu n'as que... (Il me regarde interloqué). Je pensais que Tim avait tapé juste pour l’estimation.
- Il faut croire que non. Que penses-tu de tout ce qu'a dit le vieil homme ? Tu crois que je peux me fier à lui ?

Je préfère changer de sujet.
- Concernant les informations qu’il t’a donné, je pense que oui. C’est un bon informateur. Et jusqu’à présent je n’en ai entendu que du bien. Ensuite, concernant sa vision de l’avenir… ça me laisse perplexe.
- Moi aussi, je te rassure.

Au croisement nous bifurquons à droite. Nos pas résonnent au-dessus du silence morbide de la ville. Contrairement à beaucoup d’endroit que j’ai traversé, celui-ci est véritablement désertique. La majorité de la population a fui, et les seuls qui restent se terrent dans les égouts et les réseaux de transports souterrains. Comment véhiculer de l’espoir ici ? Comment amorcer le début d’une victoire ? Avec qui ? Comment ? Pour quelles raisons ? Tant de questions qui n’ont pas de solutions aujourd’hui.

- Que comptes-tu faire ? me demande Khenzo.
- Je partirai demain à l’aube. Si le vieillard a dit vrai, je ne dois plus être qu’à quelques jours de marche d’eux.
- Tu veux qu’on t’accompagne ?
- C'est gentil, mais je ne pense que ça fasse parti des plans de Tim. On ne peut pas dire qu’il me porte vraiment dans son cœur.
- Il ne faut pas faire attention à son attitude. C’est un ours Tim, mais il a un bon fond.
- Sans doute.
- Je lui en toucherai quand même un mot. Ça ne pourra pas nous faire de mal de bouger un peu.
- Comme tu veux, mais ne te sens pas obligé. Tu ne me dois rien.

Khenzo est vraiment un gentil garçon ; je m’en veux encore de l’avoir traité comme un moins que rien. Je le connais à peine, de son coté c'est la même chose, et pourtant il a fait tellement pour m'aider. Mon esprit s'évade et s’attarde sur des souvenirs d’Adrien. Son sourire, ses attentions, son caractère entier. On s'entendait à merveille tous les deux. J'avais l'impression d'avoir trouvé l'amour de ma vie. Sa silhouette s’efface peu à peu pour laisser place à un paysage de désolation. Je ne pourrai jamais l’oublier.

Le soir arrive vite, et nous nous retrouvons tous autour du réchaud pour partager la soupe que Geremy nous a préparé. Ce gamin est un vrai mélange de débrouillardise, d’innocence et de volonté. Alors que le silence est juste déranger par nos cuillères raclant le fond des gamelles Khenzo finit par prendre la parole. Il expose son idée de m’accompagner pour retrouver ma famille. Avant même qu’il ait finit, Tim refuse.

- Il n’est pas question que j’accompagne une emmerdeuse comme elle, déclare-t-il vivement.

J’aime sa franchise. Vraiment. Avant que je ne dise quoique ce soit Geremy prend ma défense. Il veut venir avec moi, voir du pays, rencontrer des gens. Nedj, lui, ne se prononce pas. Camélia quant à elle, veut bien suivre Khenzo, mais je sens qu’elle aimerait que Tim approuve cette décision. Timothée et Franc, les jumeaux, me fusillent du regard. Ed tire une tête de six pieds de long, et tripote ses lunettes de protection avec anxiété. Je crois qu’il a rencontré une femme ici qui lui plait bien. Tidji, le rouquin avec une cicatrice au coin de l’œil en forme de lune est plutôt pour un changement. Il me fait un clin d’œil et lève son pouce en signe d’approbation. La petite Jasmine n’approuve pas l’idée et adopte le même regard que les jumeaux. Tony n’est pas pour non plus, et Akim ne veut pas quitter la cité car il a retrouvé son cousin. Josh, Al, et Tenten ne veulent pas se quitter et comme Al se plait bien ici, ils n’ont pas tellement envie de suivre Khenzo.

Tim est embêté par la tournure que prennent les choses. Et je dois avouer que moi aussi. Je comprends parfaitement qu’il tienne à toutes ses personnes et qu’il n’ait aucune envie de voir le groupe se dissoudre. D’autant plus que je ne demande rien, je ne les connais pas, et ils ne me doivent rien. Je sens que les foudres du maître des lieux ne vont pas tarder à me tomber sur la tête. Après un long silence Tim prend la parole, et je dois dire que je suis assez surprise :

- Mes amis, je crois que la fin de notre groupe a sonné, déclame-t-il d’un ton théâtral qui cache mal sa tristesse. A présent chacun est libre d’agir comme il l’entend. Personnellement je ne tiens pas à suivre cette femme. Faite ce que vous voulez. Mais Khenzo, ajoute-il en se tournant vers l’intéressé, je tiens à te dire que…
- Tim, je ne changerais pas d’avis. J’ai besoin de bouger d’ici, ça pue la mort. Je l’accompagnerai.
- Mais…
- C’est comme ça. Tu sais à quel point je t’apprécie. Grâce à toi nous sommes encore tous en vie aujourd’hui. Mais comme tu l’as si bien dit, chacun est libre de faire son choix. Et j’ai choisi. Je ne peux plus rester ici.

Tim me jette un regard haineux. Je n’aime pas du tout ce qui est en train de se passer. Etre responsable de l’éclatement du groupe c’est bien la dernière chose que je souhaite. Furieux Tim annonce que ceux qui veulent partir, partiront demain matin à l’aube. Sur ces mots il part se coucher d’un pas lourd. Tous les regards se braquent sur moi. Chez certains je peux voir le doute s’installer sur leur visage, chez d’autres la colère perce visiblement leur traits, et chez les derniers la certitude de faire le bon choix s’affirme dans leur attitude sereine. L’ambiance est tellement pesante que je préfère m’éclipser quelques temps. Ils ont besoin de rester entre eux pour en discuter. Je sors de l’abri et vais m’asseoir quelques mètres plus loin, contre le mur suintant de la galerie. A part une ou deux sentinelles, personne ne circule dans les souterrains. La tête entre les mains je me vide l’esprit pour ne plus penser à rien. Juste le vide. Juste le noir. Juste la paix.

- Tout va bien ?

Je sursaute. Khenzo s’est approché de moi sans que je l’entende arriver.

- Tout va bien ? répète-t-il alors que je ne réponds pas.
- Oui. Je réfléchissais.
- A quoi ?
- A rien.
- Vaste réflexion, rétorque-t-il avec humour.
- Ne fais pas ça.

Mon ton sérieux le surprend.

- Je ne dois pas faire quoi ?
- Tim compte beaucoup pour toi, ça se voit. Alors ne fait pas ça. Tu ne me dois rien, et je ne te demande rien. Reste avec lui. Je n’ai besoin de personne pour retrouver mes proches. J’y arriverai bien seule.
- Je n’en doute pas. (Il me dévisage en fronçant des sourcils). Mais il ne s’agit pas que de ça. J’étouffe ici. Je n’en peux plus de cette odeur de mort. Notre mission ici n’a aucun sens. Les gens se voilent la face à se terrer de la sorte. Et puis j’aimerais bien voir un peu de pays.
- Oui, mais…
- Je ne reviendrais pas sur ma décision. Si tu ne veux pas que je t’accompagne, soit, comme tu voudras. Mais je partirai quand même de cette Cité. Et puis je te parie tout ce que tu veux que Tim sera des nôtres demain matin.

Je suis un peu sceptique. Mais après tout il le connait mieux que moi. Sur ces mots, Khenzo m’aide à me relever et chacun rejoint sa couchette. Je fixe le réchaud qui s’éteint tout doucement puis l’obscurité fond sur moi comme un oiseau de proie.

« J’ouvre difficilement les yeux. Une faible lueur éclaire la petite pièce sombre où ils m’ont jeté. Le coup de crosse que j’ai reçu m’a ouvert l’arcade et mes vêtements sont maculés de tâches de sang. Alors que je me redresse avec difficulté je repense aux autres. Ont-ils réussi à fuir ? Ont-ils été rattrapés par les soldats ? Sont-ils toujours en vie ?

Tandis que les pires scénarios se déroulent dans ma tête, la porte s’ouvre et une silhouette imposante se découpe dans la lumière aveuglante qui envahit les lieux. L’homme aboie un ordre et deux soldats jaillissent derrière lui pour m’empoigner. J’essais de me défendre mais à deux ils n’ont aucun mal à me maitriser. Les coups de matraques pleuvent et l’un deux, porté à la tête finit par avoir raison de mes dernières forces. Les deux soldats me traînent alors derrière eux. Nous traversons de nombreux couloirs sans croiser personne. Tout se ressemble dans ce gris uniforme. Je n’arrive pas à fixer des repères pour comprendre la géographie des lieux. On dirait un hôpital, ou un centre d’examen. Mais mon intuition me dit que ce n’est pas tout à fait ça.

Enfin, ils s’arrêtent brusquement devant une porte. La pièce est petite. Seule une table et trois hommes sont déjà là. Les deux soldats  me soulèvent sans ménagement et me plaquent sur la planche métallique vissée sur des pieds en béton. Des sangles me maintiennent solidement. Je ne peux plus rien bouger hormis la tête. Ce qu’il me semble être leur « chef » se penche alors sur moi. Ses traits sont déformés par la haine qui le ronge. Il me dévisage de ses yeux couleur pâles et je peux apercevoir les centaines de petits diamants qu’il s’est incrusté dans la peau. C’est un homme sans âge qui aborde un sourire en or pur. Il me répugne. Je sais qu’il me parle mais je ne l’écoute pas. La gifle est brutale. Le crachat que je lui lance en pleine figure le fait virer au rouge. Mais au lieu de s’énerver il me tourne le dos quelques secondes pour revenir vers moi calmement, un couteau enduit d’un étrange liquide entre les mains. D’une main il me caresse les cheveux en m’adressant son plus beau sourire, puis tout naturellement il m’enfonce la lame dans l’abdomen. La douleur est fulgurante.

Alors que je concentre mes forces pour ne pas crier, il me susurre à l’oreille que c’est une technique qui vise à torturer les gens sans les tuer. Il tourne légèrement la lame puis la retire sèchement. Je ferme les yeux, ravalant la douleur qui me vrille les entrailles. Mais je sens que quelqu’un attrape mon bras et m’injecte un produit dans les veines. La douleur ne fait que redoubler d’intensité.

Refouler cette douleur est largement à ma portée. Si je ne veux pas leur donner raison, il va falloir que je m’engage corps et âme dans cette lutte. Ils ne m’auront pas. Quoiqu’ils me fassent, je ne leur donnerais pas cette satisfaction. Et ce, quoiqu’il m’en coûte. »

Désolée pour ce long silence, mais le temps passe si vite ! Il nous faudrait quatre vies pour vivre tout ce qu'on voudrait faire.
Voici donc la suite d'Horizons avec un petit speed.