jeudi 15 novembre 2012

Destins croisés - Episode 11


Alors que nous débouchions sur une petite clairière Erick s’arrêta brusquement et regarda autour de lui, aux aguets. Il me fit signe de garder le silence et partit inspecter les environs. Tandis qu’il s’éloignait, une ombre passa derrière moi. Je me retournai vivement, tous les sens en alerte. Sans autre formalité l’ombre se matérialisa dans mon dos et m’attrapa par les cheveux. Je poussai un hurlement de rage et m’égosillai à pleins poumons pour prévenir Erick, mais la masse de muscle me broya la mâchoire pour m’empêcher de crier. A ce moment, une autre silhouette passa dans les fourrés devant moi et se jeta sur mon assaillant. Je roulai au sol et me relevai tant bien que mal. Erick était aux prises avec un colosse encore plus impressionnant – si c’était possible – que Joastin ; il portait le même accoutrement étrange en métal, des gants de cuir recouvraient ses avant-bras et une large épée pendait à sa ceinture. Erick évita deux crochets du gauche en une adroite roulade. Il se releva, alerte, et balança son pied droit en direction de la tête du soldat. L’homme encaissa le choc sans ciller et repartit à la charge un poignard bien ancré dans une main. Alors qu’Erick esquivait lestement les attaques lourdes et peu précises du molosse, je cherchai frénétiquement autour de moi quelque chose qui aurait pu me servir d’arme. Je trouvai un long morceau de bois, l’air aussi solide que de la pierre. Je le brandis maladroitement au-dessus de ma tête et chargeai la montagne de muscle qui me tournait le dos. Le choc résonna jusque dans mes os, et je dû resserrer ma prise comme une forcenée sur la branche pour arrêter les tremblements de mes bras. L’homme se retourna et ricana en me voyant trembler de tous mes membres. 

- Tu n’impressionneras pas Traedos avec ça, femme ! aboya-t-il. 

Sa voix était rugueuse et âpre comme le vinaigre. Erick profita de ce moment d’inattention pour le frapper une nouvelle fois à la tête et le heaume se détacha. L’homme arborait un sourire carnassier et son regard glacial semblait pouvoir vous paralyser en un instant. Ses cheveux noirs et gras étaient retenus en une longue tresse, comme Joastin, et sa barbe en bataille recouvrait sa large mâchoire. Suivant mon instinct, je bondis en avant et le frappai à la tempe alors qu’il se retournait vers Erick. Il chancela, et j’eus l’impression que quelque chose s’évanouit dans les airs. Mon collègue souffla alors une série de mot dans une langue étrangère et de longs fils bleus sortirent de ses doigts. Ils s’insinuèrent dans le corps de Traedos par tous les orifices. L’homme hurla à la mort et son corps de convulsa en de violents spasmes. Sa chair se mit soudainement à gonfler, à tel point qu’il finit par éclater, répandant morceaux de chairs, viscères et organes, autour de l’endroit où il s’était tenu vivant quelques secondes auparavant. Je sentis du sang gicler sur mon visage et fermai instinctivement la bouche et les yeux. Le calme était revenu. Je regardai autour de moi, une lueur mordorée s’élevait des restes du soldat qui disparurent dans un voile brumeux. 

Je n’en croyais pas mes yeux. Mon esprit refusait la réalité qui était pourtant incontestable. Erick ramassa son livre et mon rejoignit, pas plus terrifié que cela. 

- J’avais créé un cercle de protection ici, la première fois que je suis arrivé dans ce monde, dit-il pour lui-même. Mais il faut croire que ce n’est plus suffisant pour les retenir. Je ne vois plus qu’une seule solution. 
- Laquelle ? demandai-je encore toute engourdie par la lutte qui s’était déroulée. 
- Détruire la source du problème, répondit-il avec hargne. 
- Et qui est… ? 
- Cardanas pardi ! A quoi penses-tu ? s’écria l’homme qui acceptait la mort si froidement. 

Je détournai le regard et contemplai la petite clairière. 

- A quoi je pense…, répétai-je encore sous le choc. A vrai dire c’est un peu confus. 

Mais Erick m’ignorait déjà et farfouillait dans son sac de voyage qui était resté quelques mètres plus loin. Il en sortit le petit carnet noir que je n’avais pas eu le temps d’examiner ; il le feuilleta à toute vitesse puis posa un doigt victorieux sur l’une des pages. Il alla se placer au centre de la clairière et commença à psalmodier d’étranges formules. L’air se rafraîchit soudainement et un vent violent s’engouffra entre les arbres et la végétation avoisinante pour tourbillonner autour d’Erick. Un éclair aveuglant me força à détourner le regard, et quand mes yeux revinrent sur lui, un trou flottait dans les airs à ses cotés, comme une plaie béante faite à l’univers. Souriant à pleine dent, il m’appela pour que je le rejoignisse. A ma grande stupeur j’obéis, et avançai dans sa direction. Il me prit solidement par les épaules et me poussa sans ménagement vers la bouche hideuse. La peur se libéra en moi, et un hurlement de terreur sortit de ma gorge tandis que je tombai dans le vide. L’espace d’un instant j’eu la sensation de flotter dans l’infini, comme un point de suspension de le temps. Puis la gravité reprit le dessus. 

La chute fût rude. Mon épaule blessée s’affaissa sous mon poids et ma tête heurta violemment le sol. Je voulus me relever mais Erick choisi ce moment-là pour me tomber dessus, me coupant le souffle et mes dernières volontés. Je fermai les yeux et ne bougeai plus. Je l’entendis grogner alors qu’il se dégageait, me soulageant de son poids. Je ne bougeai pas pour autant. Des étoiles dansaient sous mes paupières closes et un liquide coula le long de ma tempe. Mon crâne n’était que douleur, quelque chose n’allait pas. J’entendis la voix inquiète d’Erick mais ne distinguai pas ses mots. Ses mains prirent mon visage et me tournèrent la tête dans tous les sens ; je sentis qu’il étouffait un juron plus que je ne l’entendis. Il essuya le liquide qui inondait mon visage avec un morceau de tissu tout en pestant, je devais être dans un affreux état.

Et un de plus ! Je passerai à autre chose quand je penserai en avoir fait le tour... ou pas :p

vendredi 9 novembre 2012

Destins croisés - Episode 10


Nous mîmes trois heures avant d’arriver à l’orée de la forêt. La voiture refusait d’aller plus loin, expliquant qu’elle n’avait pas l’autorisation de circuler au-delà des frontières de la Cité. D’après la position du GPS nous étions encore loin de l’objectif d’Erick. Il nous faudrait plusieurs jours de marche pour y arriver. Je décidai donc d’arracher les fils du boitier de sécurité de la voiture. La voix crachota pendant quelques secondes encore son avertissement, puis le silence retomba dans l’habitacle. Je branchai le mode manuel et repris la route. Ce devait être la deuxième ou troisième fois que je dirigeais moi-même une voiture, et je n’étais pas franchement à l’aise. Nous croisâmes, deux navettes qui reliaient la Cité à ses jumelles, quelques véhicules autorisés à rouler en-dehors des frontières des Cités, puis plus rien. Sur près de trois cents kilomètres nous parcourûmes cette ancienne autoroute, encadrée par des arbres vieux de plusieurs siècles. 

Erick me fit emprunter une sortie rocailleuse qui nous mena droit dans les entrailles de la forêt. Lorsqu’il ne fût plus possible d’avancer, je coupai le moteur et déverrouillai les portières. Nous descendîmes, et inquiète je contemplai la silhouette de la forêt aux formes obscures et hostiles. Je n’avais aucune envie de rentrer là-dedans. Erick sentit ma réticence et me tira par la main pour m’entraîner à sa suite. En franchissant la barrière qui interdisait l’accès à la forêt, je me mis à le suivre d’un peu plus près, pas franchement rassurée par les bruits inconnus qui s’élevaient sur notre passage. Cette ambiance sonore ne m’était pas familière. L’homme que je suivais m’adressa un sourire d’encouragement. J’esquissai une grimace en guise de réponse et lui fit signe de ne pas s’occuper de moi. J’affronterai mes peurs, seule, comme toujours. Je ne savais pas ce qu’espérait trouver Erick dans cette forêt et je n’étais pas vraiment pressée de le découvrir. 

L’histoire de cette forêt me revint en mémoire. Quelques siècles plus tôt, les Hommes des pays dits « développés » abandonnèrent les campagnes et les petites villes pour grossirent les mégalopoles déjà existantes. Pour la toute première fois, l’exode urbain de cette période sonna la fin de la décentralisation et des campagnes comme nos sociétés les avaient connues. Cet exode urbain sonna également le début de l’ère de la dématérialisation et de la biomécanique comme l’appelèrent les historiens. Pour moi c’était plutôt le début de l’ère du grand n’importe quoi. Perte des repères, perte des valeurs, perte du sens premier de la justice. L’égoïsme humain s’en retrouva exacerbé et le monde commença à courir à sa perte. Dans un premier temps des voix s’élevèrent contre ce mode de vie absurde, mais elles se firent de plus en plus rare, et bientôt les dernières personnes qui osaient encore s’élever contre les institutions étaient prises pour des hérétiques et jetés hors des Cités. Voilà comment l’Homme procéda à la plus grande épuration de son espèce. 

Après cet exode urbain, et cette purge sans précédent la végétation reprit le dessus sur ce qu’avaient laissé les Hommes derrière eux. Des légendes urbaines racontaient que de nouvelles formes de vie s’étaient développées, des organismes vivants issus des déchets radioactifs, dotés d’intelligence supérieure. Bien sûr ce n’étaient que des légendes. Mais notre société paranoïaque était arrivée à un niveau de paroxysme tel que les gens voyaient le mal dans la moindre forme de vie. Notre société était fondée sur la peur, la méfiance et la délation. C’était ma vision des choses, et il n’était pas bien venu d’en parler ouvertement. 

Cette forêt était telle qu’on me l’a souvent décrite. Sombre et dense. Le sol meuble s’affaissait sous nos pieds et étouffait le son de notre progression. Ce n’était pas tant la forêt en elle-même qui me faisait peur, mais il y avait longtemps que je ne m’étais pas autant éloignée de La Cité et cela n’avait rien de rassurant. 

Nous parcourûmes des dizaines de kilomètres sans nous arrêter. Je n’en pouvais plus, j’avais les jambes lourdes, et la tête me tournait dangereusement. Je n’étais pas habituée aux longues marches harassantes. Néanmoins je n’avais pas l’intention de me plaindre, et je continuai à suivre mon étrange collègue, ne m’appliquant plus qu’à poser un pied devant l’autre, comme une automate.

Toujours la même série !

mardi 6 novembre 2012

Destins croisés - Episode 9


J’eus du mal à m’éveiller, mon esprit voulait rester dans cette douce torpeur qui m’enveloppait, mais mon corps ressentait le besoin de s’animer. En ouvrant les yeux, je jetai un regard hagard autour de moi ; mes cils avaient du mal à se décoller, et je battis des paupières plusieurs fois avant de retrouver une vision nette. J’étais dans mon lit, et alors que les souvenirs de la veille remontaient en moi, une douleur aiguë transperça mon épaule. J’y portais une main et sentis un bandage solidement attaché. Je n’avais donc pas rêvé. 


Tournant la tête sur le coté, je me rendis enfin compte de la présence d’Erick dans la chambre. Il s’était assoupi dans le petit fauteuil blanc qui meublait un coin de la pièce, comme surpris par le sommeil qui l’avait emporté. Sur ses genoux était disposé le livre rouge ; une de ses mains tenait fermement la couverture patinée par le temps. Il donnait l’impression de protéger une vieille relique au prix inestimable. Il avait dû veiller tard dans la nuit, car ses traits étaient tirés et il avait le teint blafard. Je décidai donc de le laisser là et repoussai mes couvertures. J’avais gardé mon jean et mes chaussettes, mais je n’avais plus mon T-shirt noir. Honteuse en pensant qu’Erick m’avait déshabillée j’attrapai une chemise dans la commode et l’enfilai rapidement. Toujours sans faire de bruit je quittai la chambre pour rejoindre la cuisine et mis la cafetière en route. J’écartais ma chemise et le bandage de mon épaule pour observer la plaie. Elle avait déjà cicatrisé en surface, mais je sentais qu’en dessous les chairs n’étaient pas entièrement refermées. J’enlevai donc le bandage pour le jeter. Il me gênait plus qu’autre chose. 

Je soupirai, quelle nuit étrange… Mon regard se perdit par la fenêtre. L’aube pointait à l’horizon entre les deux grands immeubles de la Tour des Emissions et de l’Empire Economique, pour répandre une lueur verdâtre dans les rues. Le flot de voiture grossissait lentement, et quelques passants couraient d’une voie à l’autre sous la brume de la pollution. Je n’avais jamais aimé cette Cité, tout y transpirait le stress, l’aigreur de la vie, et les effluves âcres que rejetaient les innombrables bouches d’égout. Comment avait-on pu en arriver là ? 

Du bruit derrière moi dissipa mes pensées. Erick se tenait sur le seuil de la cuisine, l’air abruti par le manque de sommeil, ses yeux bouffis étaient injectés de sang et ses cheveux ressemblaient à un champ de bataille ravagé. Il n’avait pas dû dormir plus de deux heures. 

- Tu veux du café ? lui demandai-je en tendant une tasse fumante vers lui. 

Il entra d’un pas lourd, prit la tasse et s’assit à la petite table en résine. 

- Merci. 

Il but une gorgée en silence et son regard s’égara dans le liquide noirâtre. Lorsque sa voix s’éleva ce fût d’un ton déterminé. 

- Nous ne pouvons pas rester ici. 
- Mais… 
- Eléonaure ! me coupa-t-il sèchement. Nous ne pouvons pas rester, nous devons partir. Cardanas a réussi une nouvelle fois à envoyer un de ses sbires ici. Il ne fait plus aucun doute qu’il a établi un lien permanent entre mon monde et celui-là. Le sceau n’a pas été brisé cette nuit. Il enverra d’autres soldats, et tant qu’il ne t’aura pas tuée il en sera toujours ainsi. Tu n’es plus en sécurité chez toi. 

- Ce n’est pas possible de créer des trous dans l’espace et les mondes parallèles n’existent pas, rétorquai-je butée. 

Furieux Erick se leva d’un bond et m’attrapa violemment par l’épaule. Il enfonça ses doigts dans ma chair et rouvrit la plaie qui commençait juste à cicatriser. 

- Tu me fais mal, arrête. 

J’essayai de le repousser mais il raffermit encore plus sa prise. 

- Et ça ce n’est pas réel peut-être ? cracha-t-il. 
- Si, soufflai-je. 

Il me lâcha enfin et reprit sa place devant sa tasse de café. 

- Alors le reste est réel aussi, reprit-il. Nous devons partir aujourd’hui avant qu’ils ne reviennent. 
- Je ne peux pas tout abandonner comme ça. Ce n’est pas possible. 
- Je l’ai fait il y a des années, tu devrais pouvoir y arriver si tu tiens vraiment à ta vie. 

Je hochai la tête et repartis en direction de la chambre. 

Quelques instants plus tard, nous nous tenions sur le seuil de mon appartement. Je jetai un dernier coup d’œil sur ce qu’avait été, l’espace d’un court instant, un foyer, avant de fermer la porte, définitivement. Je n’avais pas de regret, car en réalité rien ne me rattachait vraiment à cette Cité, même si un goût amer me montait à la bouche. Une fois à bord de la voiture, je demandai à Erick où il voulait aller. Je marchais comme dans un rêve. Il mentionna le nom d’une forêt éloignée de la Cité ; personne n’y avait mis les pieds depuis des décennies, cet endroit était revenu à l’état sauvage et la présence humaine n’était plus tolérée. Erick le savait pertinemment et pourtant il maintint son choix. A contre cœur j’indiquai la direction à suivre et le véhicule se mit en route. Le ciel commençait à se couvrir et de grosses gouttes s’écrasèrent sur le pare-brise.

En ce moment c'est ma période "Templier"... ^^