samedi 12 novembre 2011

Nishimeu



« Au cœur de la plus noire des nuits, il se pencha au-dessus de la berge, contemplant le reflet de sa confusion : lui et son alter ego entremêlé dans une lutte acharnée et sans fin. Il leur avait tout donné. Ses terres, son titre, sa femme, ses deux filles et son fils. Pourtant cela n’avait pas suffi à apaiser leur soif de pouvoir. Ils en voulaient encore plus. Cimeald était dos au mur, pieds et poings liés. Il était le dernier rempart face aux pilleurs, et il avait eu la naïveté de croire qu’un marché plus que généreux pourrait apaiser les soudards.

Enfant, les autres le traitaient souvent d’idiot du village car il ne voyait pas plus loin que le bout de son nez. Avec le temps et à force de travail acharné Cimeald avait réussi à gagner le respect et la confiance des gens d’Azirula. D’idiot du village il était passé chef de la garnison.  Il s’était marié avec Anïae, l’une des plus belles filles des environs, et ensemble ils avaient eu deux jumelles ainsi qu’un garçon. Pendant dix longues années Cimeald avait joui d’un bonheur sans nom. Jusqu’à ce qu’une bande de pillards se mette à saccager la région, prenant possession d’une bonne partie des terres avoisinantes. Azirula était le dernier bastion de l’enclave de Mideïzon, le dernier village capable de tenir face aux assauts des pillards. Mais Cimeald n’avait plus la force de ses vingt ans, et une dure vie de labeur l’avait suffisamment esquinté pour qu’aujourd’hui il perde la tête. Il était redevenu l’idiot du village l’espace d’une après-midi, le temps de négocier un marché abject.

Son reflet filiforme l’observait avec dégoût, attendant qu’il fasse la dernière chose qu’il avait à faire. Oui c’était tout ce qui lui restait comme choix pour rattraper son erreur.

Alors il l’appela. Et Elle répondit à son appel.

De violentes bourrasques de vent secouèrent le sous-bois. Les eaux noires s’agitèrent en gros bouillons. Puis un silence pesant écrasa les environs telle une chape de plomb. Cimeald savait qu’Elle était là et qu’Elle l’observait. Il tourna la tête et la vit. Elle était debout, vêtue d’une longue robe en satin noire, et en plumes de corbeau. Une grande capuche tombant sur ses frêles épaules cachait son visage, et dans sa main droite elle tenait le fléau légendaire qui faisait frémir les simples mortels. Nishimeu, déesse de la mort, venait d’accéder à la requête d’un simple chef de garnison.
L’homme se jeta aux pieds de la déesse, l’implorant d’intervenir au plus vite pour sauver les siens.

- Qu’es-tu prêt à donner en échange ? demanda-t-elle d’une voix glaciale.
- Tout, pleurnicha Cimeald.
- Tu as déjà tout donné aux pillards il me semble.

Le chef de garnison leva la tête en direction de la déesse. Nishimeu rassembla les plumes de sa robe autour d’elle, prête à repartir.

- Attendez ! Ne partez pas. Si c’est ma vie que vous voulez prenez-la. Mais sauvez les miens, implora-t-il.
- Que ferai-je d’un chef de garnison mort ? Tu ne m’intéresses pas.

Alors que la déesse de la mort se détournait de Cimeald, ce dernier l’attrapa par le bras pour la retenir. D’un geste sec de la main elle repoussa le profanateur. Personne n’était autorisé à toucher un être sacré, surtout s’il s’agissait de la Mort. Nishimeu fit claquer son fléau une première fois, envoyant valser Cimeald à quelques mètres. La plaisanterie n’avait que trop duré. Les mortels ne pouvaient user de sa patience comme bon leur semblait.
Une jambe brisée, la bouche en sang, le nez cassé et le crâne ouvert, Cimeald tendit une main tremblante en direction de la divinité.

- S’il vous plait ! Il ne me reste que mon âme. Prenez-la et je vous serais voué jusqu’à la fin des âges. Mais par pitié, protéger les miens des pillards. C’est tout ce que je vous demande.
- Voilà qui est plus intéressant. Est-ce ton dernier mot ?
- Oui…

Satisfaite, Nishimeu rangea son fléau et tendit une main translucide à Cimeald. L’homme s’agrippa à la divinité, scellant définitivement le pacte qu’ils venaient de passer.

A l’aube Nishimeu déclencha la colère d’Ashatah qui déversa des pluies diluviennes sur les camps des pillards. En quelques heures des torrents d’eau dévastèrent tout sur leur passage. Et au crépuscule il ne restait plus rien de l’enclave de Mideïzon. Atterré Cimeald lança un regard lourd de reproche à la déesse de la mort.

- Ce n’était pas ce qui était convenu. Tu devais protéger les miens ! s’écria-t-il.
- Je devais protéger les tiens des pillards. Nuance. Et je peux t’assurer qu’ils sont mieux là où ils sont qu’entre les mains de ces brutes.

Cimeald regarda les reflets flamboyant du soleil couchant se dessiner sur l’eau qui s’étendait sous ses pieds avec désespoir. Qu’avait-il fait ?

- Tu viens de créer le lac Mideïzon, répondit Nishimeu. Et tu viens aussi de sauver les tiens d’une vie de misère et de souffrance. Enfin, je m’en suis chargée pour toi. Maintenant que j’ai honoré ma part du contrat à toi de remplir la tienne.

Ce que la déesse donnait, Elle le reprenait au centuple. Des larmes de sang coulèrent le long des joues de l’ancien chef de garnison alors qu’il prenait place au côté de la divinité.  Nishimeu s’éleva vers les cieux couleur d’encre un sourire carnassier sur les lèvres. Elle avait enfin trouvé son premier Shimë : Cimeald dhun Shimë. »
Récit des divinités Tezone, Acte I, An 522

Changement d'univers. A travers le royaume de Tezo (royaume d'où est originaire Erick) on dénombre  une dizaine de dieux et de déesses dont certains sont plus aimés et célébrés que d'autres. Voici donc une présentation succincte de Nishimeu, la Déesse de la Mort Tezone, et une brève apparition de Ashatah, la Déesse des Océans.

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