jeudi 25 octobre 2012

Les joies des transports en commun parisiens


« Mesdames, messieurs, en raison d’un accident grave de voyageur veuillez patienter quelques instants. » 

Encore… C’est ce qu’expriment en un accord parfait les dizaines de soupirs qui s’élèvent dans la rame. Puis après nous nous mettons à penser à la signification de ces mots. Accident grave de voyageur. Une vie qui s’éteint, une souffrance insoutenable qui se prolonge, des pleurs, des évanouissements, un traumatisme à vie. Sûrement. Mais cela semble si lointain. 

Pour ne pas penser au pire, les pensées deviennent plus pragmatiques. Que faire ? Patienter quelques instants en espérant que ça aille vite, ou prendre les devants avant qu’il ne soit trop tard. Aller, soyons fous. Patientons quelques instants. 

« Mesdames, messieurs, ce train ne prend plus de voyageur. » 

Finalement non. Les voyageurs, un peu perdus, hésitent. Que faire ? Où aller ? Perdre son temps à maugréer est ce que choisiront la plupart d’entre eux. C’est plus productif, et ça fait toujours avancer les choses. En tout cas ça propage un sentiment d’angoisse et d’urgence. Rien ne va plus, le monde est injuste, c’est toujours la même histoire. Le monde ne sera peut-être plus pour l’un d’entre nous. 

L’indécision jouera en faveur des plus réactifs. Grogner sur un accident grave de voyageur n’a pas beaucoup de sens. Qui sait ce qui s’est passé ? Personne ici. Alors ne précipitons pas les jugements inutiles. Et évitons cette foule qui se ruera inexorablement vers la ligne 4. Dernier recours pour poursuivre vers la banlieue sud. A moins de pouvoir se payer un taxi. A 17h30. 

L’indécision causera leur détresse quelques minutes plus tard, sur le trottoir, à Porte d’Orléans, devant le bus 197. 

« Vous pouvez vous tasser un peu plus au fond ? » crie quelqu’un. 

Non, on ne peut pas vraiment. 

« Messieurs, Dames, veuillez vous avancer un peu plus dans le bus, sans quoi je ne pourrai pas partir. » 

Ah si, finalement on peut. Cette masse humaine pourtant incompressible s’entasse un peu plus, par tous les moyens possibles, dans des espaces de plus en plus réduits. Entre la bonne femme qui hurlera après le chauffeur pour interdire à d’autres passagers de monter car un bus ne doit pas prendre plus de 68 personnes debout, le vieillard de 80 ans qui trouvera divertissant de râler après la dame qui lui a mis son sac dans la figure par inadvertance, alors que ce cher monsieur était assis confortablement, ceux qui joueront des coudes pour se faire de la place, ceux qui sueront à grosses gouttes contre vous, ceux qui manqueront de faire un malaise, … Les poules élevées en batterie en riraient. L’Homme est capable de s’infliger des maux inutiles bien plus souvent qu’Il ne le reconnaitra. 

Dans ces moments-là, le rire est une parade. Tout le monde rira de ce retraité criant qu’à 80 ans il a le droit de voyager assis et qu’il s’en fou royalement que la femme ait passé toute sa journée à travailler debout, péniblement. Oui, nous riront. Elle est belle la vieillesse ! Et la tension descendra subitement d’un cran. Car ce rire jaune et amer que nous partagerons l’espace d’un instant nous rapprochera dans notre misère. Et il soulagera ce poids qui pèse sur nos épaules. Le poids de notre journée de travail, le poids de ces fâcheux incidents de transport à répétition, le poids de la présence trop proche de nos voisins transpirants, le poids de nos ennuis personnels et de ceux des autres, qui flottent au-dessus de nous, exacerbés par cette proximité imposée et subie. Subie mais consentie aussi. 

Nous aimons penser que nous n’avons pas le choix. Pourtant nous l’avons, et nous ne faisons pas toujours ceux qui seront en accord avec nous-même. 

Et quelque part, pendant ce temps, il y a peut-être quelqu’un qui souffre encore. Ou pas. Et nous ne savons pas trop ce que nous pouvons lui souhaiter.

Aller, histoire de changer un peu, voici du quotidien !

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