samedi 21 janvier 2012

Destins croisés - Episode 1



"Il y a des petites choses dans la vie que l’on apprécie. Et ce sont ces petites choses qui font que le monde est monde depuis l’origine du temps. Mais nous, pauvres humains que nous sommes, n’avons pas conscience de cet équilibre fragile et vital pour toute création. Nous nous contentons de consommer toujours plus, pousser par cette peur de ne pas avoir de consistance. Car qui sommes nous si nous ne possédons plus rien ?"

Tous les matins Eric déposait un café bouillant sur mon bureau. Tous les matins, j’arrivais quelques minutes plus tard, balançais mon manteau sur la patère, et finissais de me réveiller en avalant ce café d’une traite. Une routine qui s’était installée naturellement.

Eric était un homme mystérieux et peu bavard. Je ne savais pratiquement rien de lui, en dehors de son prénom et du fait qu’il résidait dans l’épicentre de la Cité. Il m’arrivait souvent de penser que je savais bien peu de chose sur mon voisin de travail. Et si l’envie me prenait de le cuisiner un peu pour assouvir ma curiosité, je respectais néanmoins son silence et sa discrétion. Dans une société où le respect de la vie privée et des individus était bafoué quotidiennement au profit de la rentabilité, je m’accrochais désespérément à des principes d’un autre âge. Le respect et la reconnaissance de l’autre était ma bouée de sauvetage dans ce monde en déperdition. Alors je me contentais de spéculer et d’imaginer des scénarii tous plus absurde les uns que les autres.

En me levant ce matin, une étrange intuition gronda en moi, comme pour me signaler que quelque chose ne tournait pas rond. Je décidai d’enterrer cette voix et exécutai l’éternel rituel matinal. Même si l’envie n’était pas là, il fallait se plier aux règles de la société et faire bonne figure. Je pris un rapide petit-déjeuner, passai en quatrième vitesse dans la salle de bain, avalai le liquide visqueux que tout le monde devait ingurgiter pour supporter l’air insipide de la Cité, enfilai ma veste, et enfin, tournai la clé dans la porte. Comme chaque matin je dévalais les huit étages qui me séparaient du rez-de-chaussée au pas de course. Le seul véritable exercice de la journée. Et aujourd’hui je battis mon record de presque une minute, de peur d’être en retard. Un signe que quelque chose ne tournait pas rond, car jusqu’à présent, je ne m’étais jamais réellement souciée d’arriver à l’heure au travail.

Une fois arrivée en bas de l’immeuble vertigineux – heureuse que j’étais de n’être qu’au huitième – je sautai dans ma voiture garée en contrebas. Le son de ma voix déclencha le moteur, et le véhicule bondit en avant, filant tout droit en direction du quartier des affaires. Les gens étaient passablement énervés et des sonneries tonitruantes fusaient dans tous les sens pour exprimer l’agressivité des conducteurs. Je me frayai un passage dans ce capharnaüm, mais il y avait bien quelque chose d’électrique dans l’air, et la petite voix monta à nouveau en moi pour souligner ce phénomène. Je la fis taire d’un geste de la main lorsque le véhicule tourna brusquement sur la droite pour s’engager dans un petit parking privé. La barrière électrique se leva rapidement à mon approche et j’entendis le bip familier qui scannait la plaque de la voiture pour valider mon arrivée. J’indiquais au véhicule le numéro de ma place et ce dernier s’y dirigea agilement pour se garer.

Je sortis et contemplai quelques instants les buildings à travers les sols de plexiglas renforcés du parking souterrain.  Les tours se dressaient dans le ciel comme de vieux menhirs, l’air menaçant dans leur armure de béton, de blindage et de métal. Ho non, ils n’avaient rien de l’élégance de ces reliques que l’on pouvait encore voir sur de vieilles cartes postales. Ils n’avaient même pas la prétention de s’intégrer dans l’horizon verdâtre.

Je marchai d’un pas vif en direction de l’ascenseur qui menait à la troisième tour Nord ; une vague de chaleur souleva quelques mèches brunes devant mes yeux lorsque les portes s’ouvrirent. Quelques minutes plus tard je franchissais le hall. Le standardiste, planqué derrière son comptoir d’accueil, m’adressa un sourire mielleux.

- Salut Eléonaure ! Comment vas-tu aujourd’hui ?

Comme d’habitude je l’ignorais royalement en passant devant lui, traçant ma route jusqu’aux ascenseurs qui desservait les différents étages de la tour. Je savais pertinemment ce qu’il voulait de moi ; plutôt crever ! L’ascenseur fut long à descendre les quatre cents étages, et je patientai donc jetant constamment un œil sur ma montre. Arrivée en retard ne m’avait jamais réellement préoccupée, quelle mouche m’avait donc piquée ce matin ? C’est avec soulagement que je vis les portes s’ouvrirent devant moi. Deux personnes que je ne connaissais pas étaient déjà dans l’immense habitacle tapissé de miroirs, l’une pour le trois cent cinquante deuxième étage, l’autre pour le deux cent unième. De toute façon, je ne connaissais personne ici en dehors du pantin de l’accueil et des collègues de l’agence Sellor Bay où je bossais. C’était déjà bien suffisant.

Veinarde que j’étais, j’abandonnai mes deux comparses à leur sort au trente septième étage. Je déboulai comme une fusée dans les couloirs de l’agence, m’arrêtant à peine pour répondre aux bonjours des uns et des autres. Je filai droit vers mon bureau, et la porte claqua  dans mon dos alors que je balançai mon manteau sur la chaise. Mais qu’est-ce qui n’allait pas ? Je tournai en rond, regardant autour de moi à l’affût du moindre petit détail qui aurait pu me mettre la puce à l’oreille. Soudain, mes yeux se braquèrent sur le bord de mon bureau. Il n’y avait pas de café ! Et il n’y avait pas non plus ce petit quelque chose dans l’air qui me faisait penser que tout allait bien. Je rouvris prestement la porte de mon bureau et bondis dans celui de mon voisin. Personne. J’entrai sans frapper dans celui de mon autre voisine, visiblement agacée de mon apparition brutale.

- Coralie, tu as vu Eric ce matin ?
- Non, répondit-t-elle sèchement en masquant avec sa main le téléphone pour que son interlocuteur ne l’entende pas. Qu’est-ce que ça peut me faire de savoir où il se trouve ?

Je refermai violemment la porte en levant les yeux au ciel. Je n’aimais pas Coralie, et c’était réciproque. Je courus tous les bureaux, demandant à ceux que je croisais s’ils avaient vu Eric ; personne ne savait où se trouvait cet homme, et cela me contrariait sans que j’en connaisse la raison. S’il y avait bien une chose que je savais de lui, c’est qu’il n’était jamais en retard ni absent. Il était toujours là. Ce n’était pas normal. Où pouvait bien être ce bougre à l’heure actuelle ? Aucune idée. Je regardais ma montre accrochée à mon poignet. 8h30. J’avais des rendez-vous programmés toute la journée, mais au diable ces journalistes, archivistes, comptables, et autres avocats, et au diable mon fichu principe du respect des autres ! D’un pas décidé je me rendis à la Direction des Ressources Humaines, située un étage plus bas. Un homme frisant la cinquantaine, avec un embonpoint bien présent, un visage rose et imberbe m’accueillit avec un grand sourire.

- Eléonaure ! Que puis-je faire pour toi ? demanda-t-il en s’agitant comme un papillon parmi ses fleurs de paperasses numériques.
- J’aurais besoin que tu me communiques quelques informations sur Eric.
- Eléonaure, reprit-il sur un ton de reproche. Tu sais bien que je n’ai pas le droit. Même si accéder à ta requête m’honorerai, je ne peux pas communiquer le dossier d’une personne, sans autorisation officielle.

Ses petits yeux roulèrent dans ses orbites comme deux billes folles, et ses joues prirent une couleur cramoisie, tandis qu’il tripotait une liasse de feuilles digitales avec ses petits doigts potelés. J’inspirai profondément et fixai mes yeux dans les siens, en posant mes deux mains à plat sur le bureau qui me séparait de lui. Je pris une voix douce et mielleuse.

- Je crois que tu as du travail de classement à faire dans ton arrière bureau, non ? Vas-y, fais comme si je n’étais pas là.

Albert trembla des pieds à la tête et devint encore plus rouge que tout à l’heure. L’écrevisse qu’il était se retourna et s’enferma dans la remise où se trouvaient les archives de l’agence. Je m’approchai des innombrables étagères qui couraient le long des murs de son bureau, pour m’arrêter devant les dossiers des actifs de l’agence. Je sortis la boite en plastique de l’année d’arrivée d’Eric pour la poser sur le bureau d’Albert. Fébrilement je pris le dossier de couleur noire qui lui était attitré. Comme j’appréhendais de trouver quelque chose d’inattendue, j’attendis un instant, le temps que les battements de mon cœur reprennent un rythme normal. Contrairement à ce que mon esprit s’était imaginé, je ne trouvai rien de palpitant ou d’étrange en pianotant sur son dossier numérique. Tout correspondait à l’individu que je connaissais ; parents inconnus, origines inconnues, diplômé en comptabilité, vingt-et-un ans, habitant le 42 rue Courbes. J’avais tout de même appris son adresse, ce qui me paraissait un poil important à ce moment précis. Je refermai les différentes applications du dossier et rangeait la pochette noire dans la boite, semi-satisfaite de ma trouvaille. La boite retrouva sa place sur son étagère et je quittai le bureau d’Albert pour rejoindre le mien. Perdue dans mes pensées, je me retrouvai au quarante deuxième étage avant de me rendre compte que j’avais raté celui de mon agence. Je fis repartir l’ascenseur en sens inverse tout en pestant.

Voilà le premier épisode de Destins Croisés. Le nom de cette "série" est provisoire, donc en attendant de trouver mieux...

dimanche 15 janvier 2012

Nuit d'hiver


Il est minuit. Ou peut-être plus. Je ne sais pas. Et après tout, quelle importance ?
Personne ne sait que je suis ici.
Personne ne m'attend.
Personne ne veut de moi.
Dans cette immensité bleu, j'avance à pas de loup. Derrière moi, mes traces s'effacent à mesure que j'avance.
Quand la Solitude s'est souvenu de moi elle m'avait prévenu.
Personne ne sait d'où je viens.
Personne ne sait qui je suis.
Personne ne sait où je vais.
Dans cet insondable abysse je m'enfonce un peu plus. Derrière moi il n'y aura pas de larme, pas de regret.
Quand le Désespoir s'est souvenu de moi il m'avait prévenu.
Personne ne sait que je suis parmi eux.
Personne ne sait que je vais vers le néant.
Personne ne sait qu'ils ont un jour su mon nom.
Je suis l'Oublie, et je ne cesserai jamais d'exister.

Voici une petite étude de paysage basée sur une image que j'ai trouvé sur le net. C'est pas mon fort, mais il faut bien commencer un jour !

samedi 7 janvier 2012

Clezo



« Janua encourageait à perdre haleine la meute de son père. Comme à chaque fois qu’il partait pour la ville voisine, la jeune fille en profitait pour emmener la meute à la chasse et vivre un moment épique. Elle excitait les chiens, hurlait, et courait comme une folle dans les bois après le gibier. Ces instants de liberté lui procuraient la même sensation qu’une bonne cuite à la taverne du coin, les effets indésirables en moins.

Du coin de l’œil elle repéra un éclair brun dans les fourrés.

- Je t’ai vu ! cria-t-elle. Tu ne m’échapperas pas !

Elle siffla ses chiens et s’engagea à la poursuite de la biche qui détalait à toute vitesse. Ses pieds foulèrent le sol avec rapidité et légèreté si bien qu’elle resta dans les traces de l’animal pendant quelques minutes. Puis la réalité la rattrapa et Janua s’arrêta sur un tronc d’arbre couché, le souffle court. Qu’elle aurait aimé avoir la même force et la même endurance ! Les chiens passèrent devant elle à toute vitesse et suivirent la piste de la biche. Quelques minutes plus tard, des aboiements au loin lui indiquèrent qu’ils avaient retrouvé l’animal. Janua se remit à courir espérant que les chiens rabattraient l’animal dans sa direction. Tout en courant la jeune fille dégagea son arc et sortit une flèche. Elle n’aurait probablement qu’une seule chance.

Sur sa gauche les aboiements des chiens se changèrent soudain en couinements insupportables. Janua ralentit, tous les sens en alerte. Les hurlements de mort s’arrêtèrent et un lourd silence s’installa dans les sous-bois. Un bruissement fit faire volte-face à la jeune fille. Rien. Puis soudain un autre chien hurla comme s’il se faisait déchiqueter.

Le cœur battant Janua partit à toute jambe à l’opposé. Elle n’avait aucune idée de ce qui arrivait à ses chiens, et elle n’avait pas vraiment envie de le découvrir. Dans son dos, un troisième chien poussa des glapissements agonisants, troublant l’étrange silence de la faune et la flore. Paniquée Janua accéléra le rythme, mais elle savait qu’elle ne pourrait pas tenir longtemps.
Un bruit de course lui parvint, lui indiquant que la chose la prenait maintenant en chasse.

- Merde, siffla-t-elle pour se donner du courage.

Quelque chose passa tout près d’elle, électrifiant ses cheveux. La jeune fille tourna sur la droite, en direction de la falaise qu’elle apercevait entre les arbres au loin.

A bout de force elle dû s’arrêter près d’un arbre et mettre un genou à terre. La falaise était à une centaine de mètres, mais elle ne pouvait plus respirer.

- Tu m’appartiendras, déclara une voix féminine avec détermination.

Juana sursauta et se retourna. Une magnifique femme blonde la dévisageait, les bras croisés sur une poitrine généreuse. Elle portait une robe rouge écarlate avec des motifs enflammés brodés au fil d’or. Une tenue pas vraiment appropriée pour se promener dans les bois.

- Pardon ? haleta Juana.
- Si je t’aide à fuir cette chose. Tu m’appartiendras.

Ce n’était ni une question, ni une supposition. C’était un ordre.

- Vous êtes capable de m’aider ?
- Je suis capable de beaucoup de chose jeune fille. Mais toi de quoi es-tu capable ?

Le regard de Juana s’enflamma à cette question. Pour qui se prenait cette étrangère venue de nulle part ? La jeune fille voulu reprendre sa course, mais en se relevant la tête lui tourna. Derrière elle les fourrés s’agitèrent. La panique reprenant le dessus, Juana se tourna vers la jeune femme et s’agrippa à sa robe.

- Je suis capable de tout, mais sortez-moi de là !
- Comme tu voudras. Ma seule condition, c’est qu’au moment venu tu ne devras pas t’arrêter. Ta seule issue sera d’aller jusqu’au bout.

Juana ne comprenait pas ce qu’elle disait mais elle acquiesça. Alors la femme en rouge se baissa vers la jeune fille et lui posa un doigt sur le front.

- Ne t’arrête surtout pas, et le monde n’aura plus de limite pour toi.

Juana se sentit aussitôt revigorée et reprit sa course, abandonnant la femme derrière elle. La chose la reprit en chasse, et la jeune fille accéléra à nouveau. Sans effort. La falaise se rapprochait à toute vitesse, et la chose aussi. Alors qu’elle courait toujours pour échapper à la mort Juana comprit soudain qui était la femme venue de nulle part. Un sourire carnassier aux lèvres elle s’élança avec ivresse au-dessus du rebord de la falaise en fermant les yeux.

Quand elle les rouvrit la femme en rouge se tenait devant elle, les bras croisés, au-dessus du vide.

- Clezo… souffla Juana.
- Je sens qu’on va bien s’entendre toutes les deux ! s’exclama cette dernière alors que ses prunelles s’enflammèrent.

Clezo sourit de toutes ses dents et fit souffler une tempête en contrebas pour repousser la chose au plus profond de la forêt. La Déesse du feu et du vent était satisfaite de sa journée, elle venait enfin de trouver sa première Valkea : Juana den Valkea. »

Récit des divinités Tezone, Acte I, An 522

Voici donc Clezo, la Déesse du Feu et du Vent. Impétueuse et fougueuse, elle accorde courage, force et ténacité à ceux qui n'ont peur de rien. Souvent représenter au côté de Brackaz, ensemble, ils forment un couple de dieu qui se moque parfois des conséquences de leurs actes.