samedi 7 avril 2012

Destins croisés - Episode 2



Rue Courbes se situait dans un quartier reculé de l’épicentre de la Cité, ni mal fréquenté, ni bien fréquenté ; un quartier comme beaucoup d’autres somme toute, donc rien qui aurait pu me mettre sur la voie pour expliquer son absence. Une fois dans mon bureau et constatant que son bord était toujours vide, je me décidai. Je repris mes affaires, et claquai la porte sous le nez d’un de mes rendez-vous qui venait juste d’arriver. Je bredouillai une vague excuse d’un geste de la main, et l’abandonnai sans autre forme de procès à son incrédulité ; après tout, je n’avais pas besoin de le prendre par la main pour lui montrer le chemin de la sortie.

Je sautai une nouvelle fois dans ma voiture, et indiquai la destination voulue au micro qui se tendit vers moi. Le véhicule fila à toute allure dans les rues, pressé par le son de ma voix. Il zigzagua dangereusement à travers les files de voitures et gagna rapidement le quartier d’Erick. Le temps maussade d’aujourd’hui donnait un air sinistre aux rues désertes que je parcourais au pas. Les immeubles se pressaient les uns contre les autres, dans l’espoir d’échapper à la noirceur de la pollution. C’était peine perdue ; ils ressemblaient déjà à de vieilles carcasses pourrissantes sous la lumière verdâtre du jour. Je frissonnai. Le véhicule s’arrêta doucement devant un petit immeuble ; fait de briques et de verres, il semblait perdu au milieu de cette masse noire et métallique qu’était ses voisins. Je descendis prudemment, évitant flaques d’eau et déjections d’animaux qui jonchaient le sol.


Je gravis les quelques marches qui menaient au hall de l’immeuble et m’arrêtai devant les interphones. Mon doigt suivit la liste des noms qui étaient affichés. Trouvé ! Erick X – de son vrai nom – logeait au cinquième étage, porte b. Alors que mon index allait enfoncer l’interphone je m’arrêtai, prenant soudain conscience de mon attitude. Qu’est-ce qui m’avait pris de tout envoyer valser pour me rendre chez un collègue dont je ne savais strictement rien ? Une voix sourde murmura que je devais être là et pas ailleurs. Et puis qu’importe, pensais-je en haussant les épaules. Je ne faisais rien de mal et je pourrai toujours prétexter une migraine fulgurante pour justifier mon absence et mon comportement.

Bien décidée à aller aux bouts de mes intentions, je tentai ma chance en sonnant à l’interphone. Pas de réponse. Je sonnai à nouveau, plus longuement. Toujours aucune réponse. Alors, je me dirigeai vers la porte et tentai de l’ouvrir ; elle était fermée comme je m’y attendais. Qu’à cela ne tienne, je sortis une carte électronique d’une des poches de mon jean, et la fis jouer dans la fente de la porte. Je dus m’y reprendre à plusieurs fois avant de réussir ce tour que j’avais appris il y a déjà quelques années. Un déclic se fit entendre, et je me glissai discrètement à l’intérieur. Les murs délabrés sentaient la moisissure et suintaient d’un liquide noirâtre, le sol dallé était cassé en maints endroits et les néons vacillaient comme sur le point de céder face à une décharge d’électricité trop violente. Je n’aurais su dire pourquoi, mais tout en ce lieu sentait la mort, comme une ombre nauséabonde qui se faufilait derrière vous, attendant son heure funèbre. Mon imagination reprenait le pas sur la raison.

C’était le cœur battant la chamade que je m’arrêtai devant la porte d’Erick. Qu’allai-je trouver ? Un lieu vide ? Un appartement dévasté ? Un cadavre en putréfaction ? Je frappai doucement, sur le qui-vive. N’obtenant aucune réponse, et n’entendant aucun bruit, je frappai plus fort. Toujours rien. Aucun signe de vie. La poignée de la porte se baissa sans aucune difficulté et je découvris l’intérieur de mon mystérieux collègue. Ma première impression fût que j’entrai chez monsieur tout le monde, quelle déception ! Je m’étais emballée pour pas grand-chose. Une entrée banale, équipée d’un buffet, d’un téléphone, de quelques accessoires ordinaires et d’un cadre représentant la vieille Tour Eiffel. Rien de plus. J’avançai silencieusement, et refermai la porte derrière moi. Sur la droite, la cuisine ; propre, ordonnée, et rangée comme l’aurait si bien fait la ménagère moyenne de cinquante ans, mais sûrement pas un homme de vingt-et-un ans. Je jetai un œil par la fenêtre et aperçus une petite cour étriquée, aussi noire que le reste de l’immeuble. Charmant. Je continuai ma visite et passai dans le salon ; rien d’inhabituel, un canapé en cuir, une table basse, une télévision HD de dernière génération, une chaîne Hi Fi, un petit ficus dans un angle de la pièce, et une bibliothèque. Cela aurait pu être chez moi.

En m’approchant, je distinguai quelques classiques que tout honnête citoyen se doit d’avoir chez lui ; quelques recueils de poésie moderne, une ou deux bandes dessinées, et des romans en tout genre. Alors que j’allais m’en détourner, un détail frappa mon attention. Un livre à l’ancienne, avec une couverture en cuir rouge patinée, semblait coincé entre un atlas et un dictionnaire. Me hissant sur la pointe des pieds, je l’attrapai pour mieux l’observer. Voilà bien longtemps que la société avait abandonné le papier pour passer au tout numérique. Intrigué par la rareté de l’objet, je le tournai entre mes mains, examinant la couverture, la tranche et le dos. Rien. Pas de titre, pas de date, pas de résumé, et pas d’auteur. Ce qui m’avait frappé c’étaient les deux bandes dorées qui ornaient la tranche, elles semblaient faites de feuilles d’or. J’ouvris le livre comme si je tenais un objet précieux dans mes mains et le feuilletai délicatement. C’était écrit dans une langue que je ne comprenais pas, les caractères étaient délicats, comme s’ils avaient été tracés à la main. Pourquoi diable Erick possédait-il un objet que l’on ne pouvait trouver que dans la Mémoire Commune ? Je n’allai pas plus loin pour satisfaire ma curiosité, l’heure n’était pas au déchiffrage, mais à la recherche de mon collègue. Je posai donc l’ouvrage sur la table basse et continuai mon inspection. La chambre à l’autre bout de l’appartement était aussi impeccable que le reste ; il n’y avait pas un pli sur les draps, les tables de chevets n’étaient ornées que d’une simple lampe, et les placards étaient méticuleusement rangés, couleur par couleur, taille par taille, genre par genre. Les chaussures étaient également soigneusement disposées par ordre d’élégance, allant de la vieille pantoufle au soulier de travail.

Alors que je contemplai une telle perfection du rangement, un bruit soudain me parvint depuis l’entrée. Quelqu’un venait de claquer la porte. J’hésitai une seconde entre me cacher dans le placard ou courir voir qui c’était. L’idée de passer pour une imbécile lorsqu’on me trouverait cachée entre des vêtements d’homme ne me réjouissait pas. La curiosité l’emporta et je déboulai dans le salon.

Désolée pour ce long silence, mais je vous assure, je ne chôme pas ! Voici donc le deuxième épisode de cet univers qui est déjà bien avancé, accompagné d'une illustration en work in progress !