dimanche 19 août 2012

Destins croisés - Episode 3


Erick était là, haletant, se tenant au chambranle de la porte du salon. Il avait une main portée à son bas ventre et une douleur visible crispait ses traits d’ordinaire calmes. En me voyant il écarquilla les yeux et bredouilla des phrases incompréhensibles.

- Qu’est-ce que tu fais là ? dit-il enfin après avoir retrouvé les idées claires.

Ses yeux gris pâle me dévisagèrent avec insistance comme s’il avait une hallucination. Je me sentais gênée d’être entrée chez lui comme une voleuse, et d’avoir fouillé son appartement, cependant, l’inquiétude que je lisais dans son regard me disait qu’en réalité il se fichait bien de savoir pour quelles raisons j’étais là. Oubliant mon embarras je repris avec aplomb.

- C’est plutôt moi qui devrais te demander ce que tu fais là, rétorquai-je. Pourquoi n’es-tu pas au bureau ?

Erick regarda son poignet et soupira.

- Je n’avais pas vu qu’il était si tard.

La conversation avait quelque chose de surréaliste. Il voulut sourire, mais une quinte de toux l’en empêcha. Sa main quitta son ventre pour se placer devant sa bouche alors qu’il crachait du sang. Affolée, je me précipitai vers lui. Je voulus passer mon bras sous son épaule pour le mener jusqu’au canapé, mais il émit un grognement et me repoussa violemment. Mon épaule alla cogner contre le mur d’en face. Je m’apprêtai à émettre une remarque désobligeante, avant de m’apercevoir qu’il était blessé sous sa veste, et que j’avais du sang plein les mains.

- Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? demandai-je inquiète.
- Rien. Ne te mêle pas de ça, répliqua-t-il froidement.

Erick traversa péniblement le salon et s’arrêta devant la table basse. Son regard se posa sur l’ancien livre que j’avais laissé là quelques instants plus tôt, puis revint se fixer sur moi. Ses yeux semblaient à présent fait d’acier. Il n’y avait plus rien d’amical dans son attitude. C’était une facette que je ne lui connaissais pas. Il avait l’air d’un parfait inconnu. D’ailleurs avait-il été autre chose qu’un inconnu pour moi ? Je n’avais jamais autant parlé avec lui qu’à cet instant précis.

- Tu as touché à ce livre ? demanda-t-il visiblement en colère.
- Oui, je l’ai juste feuilleté. Mais c’est du charabia. Et ce n’est pas la peine de te mettre en colère pour ça, rajoutai-je devant son air furieux.
- Comment oses-tu ! Tu te permets de rentrer chez les gens, de fouiller et de juger, sans savoir !
- Je suis désolée Erick. Je ne savais pas que c’était important, repris-je plus doucement. Qu’est-ce que c’est ?
- Ne te mêle pas de ça !

Sa voix tonna au dessus de ma tête. Je tremblai comme une feuille devant sa fureur, mais je ne m’avouai pas vaincue. Ho non, je n’étais pas venue jusqu’ici pour rien !

- Que je ne me mêle pas de quoi ? J’ai mis la carrière d’Albert et la mienne en péril pour venir chez toi. Personne ne savait où tu te trouvais, et quand enfin je mets la main sur toi, tu ne ressembles pas à celui que je connais, et tu pisses le sang ! Et tu voudrais que je ne mêle pas de ça !

Son regard n’avait pas dévié du mien.

- Par pitié Eléonaure, ne t’en mêle pas. Va-t-en.

Son ton s’était adouci mais restait ferme.

- Je ne m’en irai pas, m’entêtai-je.

Et pour prouver que je ne changerai pas d’avis, je croisai les bras et m’adossai au mur de l’entrée. Erick soupira et fut pris d’une nouvelle quinte de toux, qui lui fit cracher encore plus de sang.

- Et bien reste là si tu veux, moi je m’en vais.
- Comment ça tu t’en vas ?

Sans prendre la peine de me répondre, il se dirigea vers sa chambre, et telle une gamine insolente, je lui emboîtai le pas en sautillant derrière lui. Il ouvrit le placard que j’avais fouillé et sortit un sac de voyage. Il y jeta pêle-mêle quelques vêtements, et sortit de l’ombre une paire de botte en cuir que je n’avais pas remarquée. Il alla ensuite à la salle de bain, ne prêtant plus attention à moi. Ayant levé toute inhibition, je restai dans la chambre et fouillai le sac ; il avait pris quelques sous-vêtements, deux trois pantalons, des T-shirts, deux pulls en laine avec d’épais col roulé, sa paire de botte, un étrange couteau et une couverture. Dans l’une des poches sur le coté, je trouvai une boussole et un petit carnet noir. Je n’eus pas le loisir de l’ouvrir qu’Erick était déjà revenu.

- Tu es encore là toi ? s’exclama-t-il en m’arrachant le carnet des mains pour le remettre à sa place. Je t’ai dit de partir.

Il ajouta un nécessaire de toilette, et son fameux livre rouge avant de refermer le bagage.

- Où comptes-tu aller ? demandai-je.
- Loin. Ça ne te regarde pas.

Il attrapa son sac et le balança par dessus son épaule. Il semblait moins gêné par sa blessure que tout à l’heure, et il avait essuyé le sang qui avait coulé le long de sa mâchoire. Alors qu’il allait sortir de la pièce j’attrapai la manche de sa veste.

- Dis-moi où tu vas…

Poussé par une soudaine fureur, il se retourna vers moi et m’attrapa le poignet. Sa grande main me broya les os et son regard me foudroya sur place. Je balbutiai quelques mots incompréhensibles et je ne sus pas si ce fût la peur qu’il lut dans mes yeux, ou la lassitude, mais sa langue se délia et il lâcha enfin quelques mots constructifs.

- Ils vont revenir. Cette fois je n’aurais pas autant de chance. Je ne peux pas rester ici, je dois partir, c’est comme ça. Et toi tu ferais bien de reprendre le cours normal de ta journée.
- Qui ça « ils » ? Où veux-tu aller ? Ta blessure doit être soignée avant toute chose. Tu n’iras pas bien loin dans cet état là.

Sa poigne se raffermit sur mon poignet et je serrai les dents.

- Je t’ai dit de ne pas te mêler de ça. Pour ton bien, reste en dehors de cette histoire et retourne bosser. Tes clients doivent t’attendre.
- Et ils pourront encore attendre longtemps. Si tu ne me réponds pas c’est parce que tu n’as, en réalité, aucune idée de là où tu vas aller, n’est-ce pas ?
- Pourquoi faut-il que tu sois si obstinée…

Il grimaça et me lâcha pour se tenir le bas ventre. Oui, j’étais obstinée et je comptais bien avoir le dernier mot.

- Viens chez moi si tu ne peux pas rester ici.
- Non, répliqua-t-il d’un ton sec.
- Au moins pour soigner cette vilaine blessure. Je ne suis pas médecin, mais tu ne peux pas rester comme ça, c’est sûr. Après je te laisserai tranquille.
- Tu ne sais pas dans quoi tu mets les pieds. Je ne peux pas te laisser prendre de tels risques.
- J’ai déjà pris des risques en voulant trouver ton adresse.
- Les risques dont je parle ne sont pas comparables à la perte d’un emploi, crois-moi. Ce n’est rien à coté de ce que tu pourrais encourir en m’aidant. Alors non. Je ne peux pas accepter.
- Moi seule décide des risques que je prends, répliquai-je implacablement. Suis-moi.

Je lui pris la main et il me suivit sans un mot. J’avais gagné – pour mon plus grand malheur. Erick ne prit même pas la peine de fermer son appartement à clé. Il laissait tout, tel quel, derrière lui, et la petite voix me chuchota qu’il ne reviendrait jamais ici. Dans quel pétrin avais-je encore mis les pieds ?

Un petit work in progress et la suite des aventures d'Eléonaure et Erick.

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