mercredi 28 août 2013

Horizons - Episode 8 revisité


- J’ai une question…, murmuré-je.
- Oui ?
- Que faites-vous ici ?

Je tourne la tête pour le regarder. Même si je lui donne tout juste la vingtaine, il a les traits d’un homme mature et réfléchi. Je suppose que, comme la plupart d’entre nous, de nombreuses épreuves l’ont marqué au fer rouge. Je le sens un peu sur ses gardes suite à ma question.

Il souffle sur les mèches qui lui balayent le front et se décide à me répondre :
- Nous tentons de survivre.

Son regard fuit le mien, je suis sûre qu’il y a autre chose.

- Sérieusement. Que faites-vous dans cette ville, armés comme vous l’êtes ? Répond-moi franchement.
- Eh bien...

Il jette un coup d'œil à Tim. Je sens qu’il hésite à me donner des explications :
- Ça ne va pas lui plaire, mais tant pis. Il n’a pas vu ce que moi j’ai vu, alors, contrairement à lui, je pense que nous pouvons avoir confiance en toi.

Après une courte pause, il se tourne à nouveau vers moi :
- En fait, nous sommes ici en patrouille. Nous... il y a une petite cité souterraine dans le coin et nous veillons à sa sécurité.
- Une cité souterraine ? Ici ?

C’était donc de ça dont il parlait un peu plus tôt. Voilà qui explique bien des choses. La flamme de l’espoir se ravive au fond de moi. Et si…

- Oui, des survivants de la ville ont trouvé refuge dans les réseaux de transports et les égouts, il y a près d’un an maintenant, continue Khenzo qui ne s’est pas aperçu de mon trouble. Ils les ont aménagés pour pouvoir y vivre. Dit comme ça, ça ne donne pas très envie d’y aller, mais, en vérité, c’est plus confortable que bien des endroits où j’ai vécu.
- Comment ont-ils fait pour échapper aux patrouilles du PPNG ? Ce n’est plus qu’une question de temps pour que la région tombe totalement sous le contrôle de Macrélois.
- Disons qu’ils ont trouvé un système de protection qui s’est avéré efficace jusqu’à présent. Mais je ne me fais pas d’illusions. Les forces du PPNG ne cessent de grossir. Tôt ou tard, ils devront soit se soumettre, soit partir.

Sa conclusion parait bien fataliste. Et pourtant, c’est une réalité. En territoire conquis, il n’y a pas trente-six solutions. Khenzo vient de citer deux d’entre elles. La troisième et dernière consiste à mourir. Le passé remonte à la surface une fois encore, mais je décide de m’intéresser un peu plus à l’homme qui m’a tendu la main aujourd’hui :
- Et toi, d’où viens-tu alors ?
- Moi ?

Khenzo me regarde avec un sourire que je n’arrive pas à interpréter, avant de poursuivre :
- Après la Rupture et la chute de Paris, je me suis retrouvé plus ou moins seul. J’ai pas mal vadrouillé dans le nord-ouest de la région, sans véritable accroche, et il y a presque neuf mois, j'ai rencontré Tim et son groupe. Depuis, nous voyageons ensemble. Et après avoir parcouru de nombreuses villes, nous avons atterrit ici. Ça fait deux mois que nous assurons la sécurité de la cité, en échange de quoi nous avons un endroit où dormir lorsque nous ne sommes pas chargés de patrouiller et nous avons droit à des rations hebdomadaires…
- Tu as perdu ta famille pendant la Rupture ? demandé-je après un long silence.
- Non… Ni pendant la guérilla parisienne. J'ai été élevé dans un CPEA.

J'assimile ce qu'il vient de me dire tout en enregistrant sa physionomie : grand, un mètre quatre-vingt-dix à vue d’œil, des cheveux bruns en bataille, des sourcils bien dessinés qui assombrissent de grands yeux noisette, une barbe de deux jours sur les joues, de larges épaules, une musculature que je devine puissante sous son blouson en cuir et son pantalon en toile. Il a un beau visage malgré des traits tirés par la fatigue et la faim. Son attitude calme et déterminée dégage quelque chose d’agréable. Sabrina l’aurait sûrement trouvé bel homme. Je souris tristement en repensant à ma meilleure amie et concentre mes pensées sur un sujet plus important : si les habitants ont réussi à se cacher du PPNG aussi longtemps, il y a peut-être un espoir… je dois m’y accrocher. Je n’ai pas le choix.

- C’est vraiment Tim qui dirige votre groupe ?
- Oui. Pourquoi cette question ? demande-t-il d’un air surpris.
- Ce n’est pas vraiment la sensation que j’ai eue tout à l’heure.
- Je te déconseille de lui tenir tête comme je l’ai fait, reprend-t-il sur un ton plus sec. Il serait capable de tuer.
- Qu’il essaye, je l’attends de pied ferme.
- Il n’essayera pas, il le fera.

Il paraît bien sûr de lui. La curiosité me pousse à poser quelques questions sur leur relation.

- Qui est-il exactement pour toi ?

Le jeune homme se détend un peu et lâche un soupir :

- Plus qu’un simple chef de groupe, c’est certain. Par moment, j’ai l’impression que je pourrai presque le considérer comme un père.
- Et lui te considère comme son fils ?
- Je ne sais pas trop. Peut-être. En tout cas, il ne laisserait personne d’autre lui parler sur ce ton. Tim aime avoir le contrôle de la situation et, d’après lui, les sentiments sont une entrave au bon exercice de sa fonction. C’est quelqu’un de bien, malgré son air d’ours des cavernes, et je sais que, s’il le fallait, il n’hésiterait pas à donner sa vie pour sauver l’un d’entre nous.

Cela ne m’étonnerait pas que Tim ait perdu un fils qui ressemble plus ou moins à Khenzo. Ça expliquerait son indulgence vis-à-vis du jeune homme, qui ne s’est pas gêné pour remettre en question son autorité, et ce devant tout le monde. J’observe discrètement les compagnons de mon interlocuteur. Même s’ils paraissent détendus, je surprends quelques regards soupçonneux à mon égard. Et je les comprends. Ils n’ont aucune garantie sur mes intentions, si ce n’est ma parole et celle de Khenzo qui a – je ne sais pas vraiment pourquoi – décidé de me faire confiance. C’est peu. Je ne peux pas en vouloir à Tim d’être méfiant.

L’homme assis à mes côtés est retourné dans son mutisme. Il fixe le sol entre ses pieds, perdu dans ses pensées. Camélia, quant à elle, s’est à nouveau assoupie, serrant le bras de son épaule blessée contre sa poitrine. De manière générale, elle et ses compagnons portent tous des vêtements usés, déchirés, rapiécés. Quelques pièces renforcées, en cuir rembourré ou en métal, protègent leurs genoux, leurs coudes ou leurs épaules. Par exemple, Camélia s’est confectionné de petites épaulettes en cuir et en fer maintenus par un système un peu bizarre, fait de sangles et de boucles. Malheureusement pour la jeune femme, la balle a trouvé une trajectoire évitant la protection pour aller se loger juste à côté du passage de la sangle.

J’examine un peu plus attentivement leur équipement : quelques fusils d’assaut dernier cri, un large panel de semi-automatiques de la gamme HK, des couteaux en veux-tu, en voilà… Je crois même distinguer des brouilleurs de trace thermique au pied d’un baril, mais ils ont l’air endommagés et inactifs. La patrouille du PPNG a sûrement dû déclencher une mini-bombe IEM pour détruire leur matériel. Ce serait bien leur genre.

Plus qu'à passer à un autre personnage d'Horizons !

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