lundi 29 avril 2013

Horizons - Episode 3 revisité


Je me réveille en sursaut, tous les sens en alerte. L'aube est encore loin devant moi, mais je suis saisie d’une sensation désagréable. Sans attendre, j'empoigne mon sac, mets mon fusil d’assaut en bandoulière et quitte les lieux rapidement, les yeux rivés sur mon détecteur de chaleur que je viens d’allumer. C'est bien ce que je pensais : une douzaine d'hommes circulent dans le secteur. Je ne sais pas d'où ils sortent, mais dans le doute je préfère me tenir à distance et rester dans l'ombre. D'autant plus que les points, jusqu’à présent gris, viennent de passer au rouge. Il faut toujours un laps de temps avant que le détecteur de chaleur n'analyse toutes les données. 

Pendant plus d'une heure, ils circulent dans les rues de la ville. J'ai comme l'impression qu'ils vérifient les lieux à la recherche de quelque chose... ou bien de quelqu'un. Cachée dans un placard à jouets, j’attends qu’ils s’éloignent, espérant qu’ils ne possèdent pas, comme moi, un détecteur de chaleur. Apparemment non, ou alors ils ne s’en servent pas pour l’instant. 

Depuis plus de dix minutes, ils sont réunis au même endroit et ne semblent plus avoir l'intention de bouger. J'hésite. Est-ce que je vais voir de plus près ? Ou je passe mon chemin le plus vite possible ? Oh, et puis j’emmerde la prudence ! Ne m’en veut pas papa, mais j’ai envie d’assouvir ma soif de curiosité cette nuit. Car si je sais que ce n'est pas raisonnable, j’irai quand même jeter un coup d'œil sur ce groupe. 

Grâce à mon Mémo et au plan de la ville dont il dispose, je repère la configuration des lieux. La carte m'indique qu'une ancienne banque surplombe l'endroit où ils se trouvent. C'est donc par là que je vais passer. Je m’équipe des lunettes et les règle en infra-rouge pour mieux me déplacer dans l’obscurité. Tout en prenant garde à ne pas faire de bruit, je tiens mes distances et passe par l'arrière du bâtiment. Je traverse les salles, une à une, sur la pointe des pieds. 

Il reste des machines à moitié cassées sous les décombres, des placards encore plein de dossiers, et même des tasses à café avec leur cuillère sur des tables de réunions jonchées de paperasse poussiéreuse. Le plafond et les murs semblent ne tenir que par miracle et n'attendent qu'une chose : me tomber dessus. Tout est sale, sans vie, et noir. L'abandon des lieux donne à cette banque un air sinistre. Des graffitis recouvrent les parois de la cage d'escalier. On peut y lire toutes sortes d'insultes grossières, de revendications politiques, de noms, de dates. C'est la représentation exacte du pays. Des morceaux d'idées, d'envies, d'actes, mais rien de cohérent, juste une impression de désordre. 

Arrivée au deuxième étage, je passe par-dessus les gravats pour gagner les fenêtres qui donnent sur la rue. De là, je devrais apercevoir le camp du groupe qui a sillonné toute la ville. Je m'allonge sur le sol et appuie sur un bouton de mes lunettes pour les passer en mode jumelles nocturnes. Je les adore ! Piquées dans un dépôt d’arme, je ne regrette pas les risques que j’ai pris à l’époque. 

En bas, ils sont quinze, l’air plus ou moins décontracté, postés dans la rue devant un rideau baissé comme s’ils attendaient quelque chose. Certains font les cent pas, nerveux. D’autres, plus détendus, jouent aux cartes pour passer le temps, à côté d’un brasero. Parmi eux, deux femmes trentenaires et des hommes de tout âge : le plus jeune est un adolescent, et le plus vieux frise la cinquantaine. 

J'essaie de repérer un sigle ou un insigne particulier qui me permettrait de les identifier, mais je ne vois rien. Ils ne portent pas d’uniforme particulier, juste des vêtements de ville. Le plus vieux semble également être le chef du groupe. Du moins, je suppose qu’il prend le commandement dans les situations difficiles, car la discipline ne semble pas être leur point fort. Chacun vaquent à ses occupations sans réelle coordination, parfois même en se chamaillant comme des gosses. La prudence ne semble pas non une règle d’or au regard du volume sonore qu’ils produisent. J'en déduis qu'ils ne font pas partis des forces du Parti Politique de la Nouvelle Génération. Non, eux sont trop à cheval sur les principes, la discipline et l'ordre. Et surtout, je n'ai encore jamais vu de femmes dans leur rang. Ils les asservissent comme des esclaves, prêtes à être engrossées, et toutes les tâches répugnantes indignes des hommes leur sont réservées. Merci pour ce beau retour à l’âge de pierre. Ils ne doivent pas non plus dépendre de l'Organisation Politique Pétrolière Internationale, car je n'ai pas vu le sigle du baril de pétrole, et ils ne portent pas de sabre à leur ceinture. Cette région est aux mains de ces deux seules organisations, alors qu’est-ce qu’il y a dans les environs nécessitant un tel armement pour un groupe de cette taille ? 

Un peu fatiguée après une nuit aussi courte, mon attention se relâche et mes pensées divaguent sur différentes hypothèses. J’imagine les soldats du PPNG se glissant parmi la population locale afin de s’infiltrer à tous les niveaux. Si Macrélois cherche réellement à reprendre le contrôle de la France et de ses frontières, c’est ce qu’il y avait de mieux à faire. Il pourrait alors répandre des rumeurs, camoufler les bévues et inventer des faits qui pousseraient les gens à se rallier à lui sans résister. Et d’après ce que j’avais pu apercevoir, la bonne parole sera bientôt prêchée par des âmes innocentes et juvéniles. Si seulement je pouvais me sortir de la tête toutes ces images atroces ! 

Ruminant ces idées noires, je pose mon menton sur la paume de mes mains et lâche un soupir. Mon HK-720 butte alors contre une petite pierre, qui n’attendait que ça pour se faire la malle. Elle dégringole les deux étages, chute sur le verre et rebondit parmi les plaques de tôle en un bruit assourdissant. Puis, comme pour me faire payer ma curiosité de manière ironique, continue sa course dans la rue pour aller rouler aux pieds d’une des femmes. Désabusée, j’enfouie ma tête dans mes bras. Déjà, ça s’agite en bas, l’aîné criant une série d’ordres à l’ensemble des membres du groupe. 

Super. J’ai encore gagné ma nuit… Prudence est mère de sûreté. Putain de merde, pourquoi faut-il que je sois si curieuse ? Ce n’est pas comme si c’était la première fois en plus… Promis papa, à l’avenir, je passerai mon chemin. Pestant contre ma connerie, je me relève et empoigne mon sac. Mon fusil d’assaut bat la cadence sur ma hanche tandis que je traverse le deuxième étage en sens inverse. J’avais repéré un étroit passage dans un mur qui menait vers une autre partie de l’immeuble. Je m’accroupis et balance mon sac et mon arme par la petite ouverture. Puis, tout en faisant attention à ne pas forcer sur ma jambe blessée, je rampe pour passer de l’autre côté. Je me relève et prends mes affaires. En face de moi, le sol est effondré. Il va falloir que je saute par-dessus le vide pour pouvoir continuer. Ça m’apprendra à vouloir faire la maligne. 

Mes poursuivants sont au rez-de-chaussée. Je n’ai pas beaucoup d’avance sur eux alors il va falloir que je me bouge les fesses. Prenant une grande inspiration je m’élance et saute. Ma roulade est plus que maladroite et une partie du plancher s’effondre sous mon poids. J’atterrie au premier étage, face contre terre, mangeant la poussière à pleine bouche. Pouah ! Dégueulasse. Un grognement s’échappe de ma gorge alors que je me remets sur pieds. Ma course m’amène sur une passerelle suspendue qui surplombe une rue et rejoint un autre immeuble. Je n’ai pas le temps de sortir mon détecteur pour savoir où se trouvent chacun des membres du groupe que j’ai dérangé. Et puis, vu le bruit qu’ils font, je pense qu’ils sont tous à mes trousses derrière moi. 

Grâce à mes lunettes infra-rouge, je prends quand même quelques secondes pour regarder le plan de l’étage avant de repartir. Tout droit. Deuxième à gauche. En face. À droite. J’y suis. Les escaliers de secours sont juste là. Essoufflée, j’ouvre la porte. La ruelle est déserte et si les premières marches métalliques sont intactes, le reste gît au sol, quelques mètres plus bas. Trop tard pour revenir en arrière. Et ça me contrarie. Je n’aime pas être contrariée. Moi qui espérais passer une nuit tranquille, je suis servie ! Après avoir observé les environs, j’aperçois une corniche sous mes pieds, à mi-hauteur du mur. Si je me débrouille bien, je devrais pouvoir l’attraper en me laissant tomber et atteindre le sol en deux temps. Je descends les quelques marches pour me laisser pendre par les mains. Avec mes jambes, je fais quelques mouvements de balancier puis, me lance. Raté. Mes mains dérapent sur le mur, ne trouvant aucune prise. La chute est rude et me coupe le souffle. Je roule sur le côté, le corps endolori et m’agenouille pour vérifier que je n’ai rien de cassé. À part quelques coupures et des bleus, je m’en tire plutôt bien. 

Des éclats de voix au-dessus de ma tête me tirent de mon inspection. Je crois qu’ils ont perdu ma trace dans l’immeuble. Avec un peu de chance, ils lâcheront rapidement l’affaire. Mais pour l’instant, je dois mettre le plus de distance possible entre eux et moi. Mon sac sur le dos et mon fusil d’assaut en bandoulière, je me remets à courir en trainant un peu la patte pour économiser mes forces. À la sortie de la ruelle, je m’arrête. Coup d’œil à droite. Personne. Coup d’œil à gauche. Personne. Je traverse rapidement la grosse artère pour gagner une autre rue. 

Dix minutes plus tard, je ralentis un peu le rythme. Ils ont dû abandonner, car je n’entends plus aucun bruit hormis celui que je produis. Je relâche un peu ma vigilance pour reprendre mon souffle. Je déteste courir. Pourtant c’est devenu l’une de mes activités principales. Si j’y suis maintenant habituée, cela reste toujours éprouvant. Néanmoins satisfaite de m’en sortir à si bon compte, je reprends ma route. 

Arrivée à un embranchement où j’hésite quant à la direction à prendre, je m’arrête. Alors que je m’apprête à sortir mon Mémo, une masse noire fond sur moi et me projette au sol. Je n’ai rien vu venir. Ni entendu. Et sans chercher à comprendre de quoi il s’agit, j’effectue une roulade pour me rétablir et m’enfuir. Mais l’individu, toujours au sol, en a décidé autrement. Il m’attrape les jambes et me fait tomber en avant. Mordant la poussière une seconde fois, je reçois un coup de poings au niveau de la mâchoire qui m’assomme à moitié, faisant voler mes lunettes. Mon sac et mon fusil d’assaut m’encombrent et cette fois je me sens contrainte de m’en débarrasser pour parer un second coup. Alors que l’homme arme une nouvelle fois son poing, je me dégage de son étreinte pour lui lancer mon pied dans les côtes. Il se plie en deux, le souffle coupé. Je ne ferai pas le poids face à lui. Il ne me reste qu’une solution : la fuite. Comme d’habitude. 

Profitant de cet instant de flottement, je me relève et me remets à courir. Dans la foulée, j'attrape mon sac et ramasse mon arme et mes lunettes. Après une centaine de mètres parcourus à toute allure, je m’aperçois que mon agresseur me talonne toujours. Et il regagne du terrain ! Il est coriace celui-là. Et si ça continue, je n’aurais pas d’autres choix que de le tuer… 

À plus de cinq cent mètre devant, j’aperçois un carrefour. Ma cuisse me lance, mes poumons me brûlent, la poussière me pique les yeux. Je suis mal barrée. Très mal barrée même.

La suite, revisitée après les nombreux commentaires que j'ai eu !

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